Rétention et difficulté d’accès et d’utilisation de l’information. Irritant #5 de l’expérience employé.

Si l’information existe on la trouvera sur Google ! Ce réflexe tellement évident dans nos expériences quotidiennes ne survit pas au crash test de l’expérience en entreprise.

Je ne parlerai pas du fait qu’en étant certain de trouver toute information par un moteur de recherche on n’essaie plus de rien retenir, on n’apprend plus et, plus grave, on perd tout sens critique, on ne qualifie plus ses sources et on gobe n’importe quelle fake news. C’est un sujet qui mérite son propre développement même s’il ne faut pas se tromper de débat : il ne sert à rien de blâmer la technologie pour la diffusion d’une information de mauvaise qualité mais plutôt se demander ce qui a fait disparaitre le sens critique chez ses utilisateurs.

Bref là encore il n’est pas possible de répliquer dans l’entreprise la fluidité du monde extérieur. La complication organisationnelle en est une cause mais pas la seule. Les problèmes de gestion et de circulation de l’information qui en sont parfois la conséquence mais qui a également d’autre causes est l’un d’entre eux.

L’information est à l’entreprise ce que le ballon est au football

Avant d’aller plus loin précisions pourquoi le partage et la circulation de l’information sont si importants. Quoi qu’une entreprise produise, tout est toujours question de faire avancer des flux le plus vite possible.

Quant on fabrique des biens tangibles c’est assez évident : plus une chaine de production avance vite mieux c’est.

Mais ça l’est aussi quand on fabrique des choses intangibles. Ici on ne parle pas de flux physiques mais de flux d’information, de savoirs.

Et même dans quand on fabrique des bien manufacturés il y des logiques de prise de décision, de pilotage et, avant tout, de conception qui ne reposent que sur des flux d’information.

Et dans tous les cas il y a bien sur les fonctions support (RH, finance…) et même (surtout ?) les fonctions de direction qui ne peuvent fonctionner sans information.

Les commentateurs sportifs disent souvent que « le ballon ira toujours plus vite que les joueurs », autrement dit il est plus efficace de bien (et vite) faire circuler le ballon que de faire courir les joueurs. Et bien c’est pareil dans l’entreprise. Moins l’information circule bien et vite moins l’entreprise va vite, s’adapte vite.

Jack Welch, l’ex CEO de GE disait que «quand la vitesse du changement hors de l’organisation dépasse la vitesse du changement interne la fin est proche». Or le changement demande que l’information circule et quoiqu’il en soit quand l’information circule plus vite dehors que dedans c’est annonciateur d’un futur sombre.

Alors oui c’est un problème de performance et de compétitivité pour l’entreprise mais à la base, si on part du principe qu’une organisation efficace est une organisation conçue autour de ceux qui produisent, de la même manière qu’un bon process de vente est construit autour du client et bien c’est un problème d’expérience employé à la base. Le reste est une conséquence parfois grave pour l’entreprise mais dont on ne traite jamais la cause première car on ne part jamais des personnes opérationnelles.

Ne pas avoir la bonne information, ou pas au bon moment, avant même de devenir un soucis pour l’entreprise est un problème pour le collaborateur qui n’a pas les moyens de (bien) faire son travail, est bloqué sur une tâche voire doit gaspiller une énergie folle pour essayer d’avoir l’information en question. Comme souvent les signaux d’alerte d’une mauvaise expérience employé sont les signes avant coureurs de problèmes plus graves pour l’entreprise en termes de prise de décision et d’exécution.

Dans une économie de la connaissance, des services, dans un monde complexe, votre pire ennemi n’est pas votre concurrent : c’est la vitesse.

Le savoir c’est le pouvoir, un vieux mythe qui a la vie dure

Commençons par un problème vieux comme le monde : la rétention d’information. En effet on considère encore trop souvent que « le savoir c’est le pouvoir ».

Avoir une information et ne pas la donner c’est en effet quasiment un symbole statutaire. « Je sais et pas toi ». C’est aussi une expression du pouvoir qu’on a sur l’autre : « si tu ne sais pas tu ne peux faire ton travail donc donnes moi une raison de t’aider ». C’est enfin, logiquement, la détention d’un pouvoir de nuisance car on peut envoyer tranquillement ses collègues à l’échec faute des informations nécessaires.

En fait il ne s’agit pas d’un mythe : le savoir c’est bien le pouvoir. Mais quand la réussite d’une entreprise est conditionnée par la vitesse à laquelle elle fait circuler, partage, mélange et confronte l’information c’est surtout le pouvoir de mener tout le monde à l’échec, soi inclus.

L’information est un outil de travail, pas un privilège de caste

De manière un peu similaire au point qui précède il y a le fait de décider des droits d’accès à une information à partir de la personne qui l’émet et non en fonction des personnes qui en ont besoin et donc les accès sont gérés en fonction du statut hiérarchique et non d’un besoin opérationnel.

Bien sur tout n’a pas être partagé, loin de là. Mais parfois on applique cette règle sans discernement et on voit, par exemple, des personnes travaillant sur un projet rechercher des informations vitales, par exemple en termes budgétaires, contractuelles ou commerciales qui ne sont disponibles qu’au sommet de l’organigramme pour celui qui les a élaboré alors qu’ils en ont besoin pour prendre une décision.

Combien de fois une information élaborée au niveau top management n’est pas disponible pour les managers qui doivent la mettre en œuvre ? Ou pas immédiatement sans qu’ils aient à en faire la demande expresse.

Le plus souvent il ne s’agit pas d’une volonté de nuire, de s’accaparer l’information ou de l’idée selon laquelle ce sont des choses que les autres ne doivent pas savoir ! C’est juste un oubli. On oublie de mettre un document dans le bon répertoire ou de donner les bons droits parce qu’on pense en tant qu’émetteur et non pas en fonction de l’usage.

Rien de grave, cela se rattrape en un clic. Mais pour avoir ce clic il faut courir après une personne peu disponible, et espérer qu’elle lise votre demande tout de suite et la traite…ça peut prendre des heures, des jours, voir demander plusieurs rappel. Pour la petite histoire je me suis déjà retrouvé dans le rôle du « coupable » parce que je n’avais pas pensé à l’usage qui devrait être fait d’un document et vu que les demandes d’accès venant des personnes concernées tombaient dans le dossier « notifications » de ma boite mail, celui ou tombent des centaines de choses inutiles chaque jour, je m’avais plus qu’à m’en prendre qu’à moi même quand au bout de 3 jours je me suis étonné que rien n’avançait.

Temps perdu, frustration, sentiment de ne pas être pris en compte voire qu’on ne fait pas confiance. Mais pendant ce temps les choses n’avancent pas.

La collaboration : une pratique vitale

Logiquement la réponse à la rétention d’information c’est la collaboration, là encore un sujet vieux comme le monde dont les entreprises ont le plus mal à se dépêtrer.

Les outils collaboratifs sont partout dans l’entreprise et n’ont jamais été aussi simples à utiliser mais la collaboration, elle est souvent aux abonnés absents. L’outil ne vaut rien sans l’usage ni la volonté. Ca n’est pas un outil qui empêchera la rétention d’information. Et même quand on l’utilise, encore faut il bien l’utiliser.

Trop de partage d’information mène à l’infobésité et un déficit d’attention. Chaque outil est adapté à une forme de partage et de collaboration précise, utiliser le mauvais outil pour le mauvais usage c’est, pour reprendre l’image du football, faire une passe que personne ne recevra.

Une informatique trop silotée

Indépendamment des usages il se pose aussi des questions liées au système d’information en lui-même. Des informations peuvent se retrouver au mauvais endroit en raison de mauvaises pratiques mais elles peuvent également l’être pour de bonnes raisons.

Le principe de 1 outil = 1 usage disperse l’information entre une multitude d’outils mais pour la bonne cause. Suivant la forme et la nature de l’information, elle sera mieux valorisée dans un outil que dans un autre. Elle peut même exister dans plusieurs outils : un outil froid (GED) pour sa capitalisation et un outil chaud (réseau social d’entreprise ou tchat) pour la mettre en mouvement et la partager à un moment donné.

Cette pluralité d’outil n’est pas un problème si on a appris les leçons du passé où on a vu que des outils qui étaient capables des servir à tout n’étaient finalement bons à rien. C’est même finalement une bonne chose si elle favorise l’usage, les bonnes pratiques et une bonne valorisation/utilisation de l’information.

Le vrai problème c’est qu’on utilise la collaboration (et donc le temps des autres) pour de mauvaises raisons. Un des cas d’usage type de la collaboration c’est « je cherche une information, je la demande aux autres ». C’est quelque part logique : le collaborateur face une multitude d’outil sait souvent que l’information existe mais ne sait pas où chercher, donc il trouve plus pratique et logique de demander si quelqu’un sait avant de perdre son temps à chercher.

On se sert de la collaboration comme palliatif à l’absence de moteurs de recherche unifiée ! C’est la leçon principale à apprendre du « réflexe Google ». La force de Google c’est d’indexer quasiment tout indépendamment de l’endroit où cela se trouve (et bien sur sous réserve que le contenu soit public). Je me souviens d’un projet de refonte d’intranet d’un grand groupe où il avait été décidé de mettre en place tout un ensemble d’outils collaboratifs et de partage en fonction des usages mais avec comme préalable la mise en place d’une recherche unifiée. Grand succès auprès des collaborateurs qui ne se sont jamais plaints de la multiplication des outils contrairement à d’autres entreprises qui ont suivi la même voie…sans le moteur de recherche.

Alors oui on voit de telles approches mais reste le plus souvent limité à des suites déjà intégrées. Au sein d’Office 365 ou au sein de Google Suite par exemple. Mais il faudrait aller plus loin en intégrant (sous réserve des droits d’accès bien sûr) le CRM, les outils de gestion projet, outils RH etc.

Encore une fois en termes d’expérience donner du temps à l’autre n’est pas un problème, le faire pour partager une information déjà accessible ailleurs l’est et est puissamment énervant. Et au final on dépasse encore une fois le périmètre de l’expérience employé au sens strict pour retomber sur des enjeux d’efficacité individuelle.

Le besoin d’information n’est pas une affaire de lieu ou de device

Autre cas de discrimination à l’accès à l’information : celle basée sur le lieu ou le périphérique utilisé.

Commençons par le périphérique. En 2020 il y a encore des outils et donc des informations qui ne sont accessibles que sur un ordinateur et pas sur une tablette ou un mobile. Dommage dans un monde d’hypermobilité devenu « mobile first ». Mais cela ne concerne pas que les salariés en mobilité : cela empêche parfois de redescendre l’information sur les gens de terrain non équipés d’un ordinateur de bureau et autres cols bleus.

Et puis il y a le lieu. Il y a des choses auxquelles on peut accéder depuis le bureau mais pas de l’extérieur, pas de chez soi en télétravail par exemple. Les causes ? Cela va du VPN pas suffisamment dimensionné au manque de confiance qui amène à penser que le collaborateur sera plus enclin à « voler » de l’information chez lui que s’il la consulte du bureau.

Dans les deux cas inutile de vous expliquer une fois de plus l’impact sur la productivité, la frustration, la perte de confiance et in fine l’impact sur le fonctionnement de l’entreprise.

Non, tout n’est pas partageable…mais tout n’est pas un projet

Alors bien sûr tout n’est pas partageable et une énorme quantité d’information doit rester hautement confidentielle ou n’être partagée qu’à un groupe restreint de personnes. Mais lorsqu’on est justement au niveau où on traite beaucoup de choses confidentielles on a vite tendance à considérer que tout doit l’être.

La vie d’une entreprise, d’un point de vue opérationnel, est faite de projets, que ce soit pour des clients ou pour l’interne. Dans le cadre d’un projet il faut au contraire appliquer le raisonnement inverse : tout est propriété par défaut non pas d’une personne mais de l’équipe sauf cas exceptionnel.

Une mauvaise circulation / disponibilité de l’information est une vraie cause de frustration pour les collaborateurs, vécue selon ses cas comme une perte de temps, un effort inutile, un manque de confiance. Mais derrière c’est toute l’entreprise qui ralentit quand une personne n’a pas l’information dont elle a besoin.

Photo : Gestion de l’information de Mmaxer via Shuttetstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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